N`ayons pas peur des mots et suivons les traces laissées par le « sel noir » d`Édouard Glissant dans son recueil du même nom paru en 1960. Le « sel noir » de Glissant fait écho au passé douloureux de la Caraïbe (l`esclavage dans les cannes à sucre), mais il renvoie aussi à l`une des propriétés salines inattendues : son pouvoir assainissant. Le poème est « splendeur et amertume » : « Il est – au delta – un fleuve où le mot s`amasse », le poème « où le sel se purifie » . Le sel débarrasse des scories du langage. Le sel noir est une heuristique francophone, elle permet d`aller à l`essentiel. Les couleurs de la francophonie : si l`expression peut paraître provocatrice, c`est qu`elle nécessite pour chacun des chercheurs d`interroger son propre rapport à la couleur de peau, questionnement que l`on se pose peu dans le milieu universitaire européen. Ces réticences sont légitimes, elles ne remettent pas en cause notre démarche, mais elles nous rappellent que la prudence doit nous accompagner. Du chemin reste à parcourir concernant nos préjugés de couleur, confirmant qu`il est toujours opérant de réfléchir sur les enjeux colorés de nos représentations. D`un point de vue plus personnel, la proposition de cette expression est née du prolongement d`une réflexion sur le rôle des couleurs dans les cultures et civilisations occidentales. L`une des hypothèses de cet essai intitulé Colorado tient au rapport entre la couleur et la frontière, rapport qui peut être saisi par la notion de ligne de couleur. Notre réflexion a porté sur deux continents, l`Europe et l`Amérique. Elle mérite aujourd`hui d`être ouverte à d`autres continents. L`Afrique tout particulièrement. Si la notion de frontière peut paraître problématique ou sujette à caution, elle offre néanmoins deux pistes de recherches : parce que la frontière est l`une des modalités épistémologiques de la couleur, et parce qu`elle constitue l`expression géographique de ces lignes de couleur justement.